Être amoureux… de chevaux
Cet article paru dans la revue de l'université de Montréal, Forum, réalisé à partir d'un entretien avec Christopher Earls montre que le chercheur a révisé son analyse de la zoophilie à la lumière de nouvelles données qu'il a publié dans un nouvel article scientifique. Cet article fait suite à un précédent papier paru à l'occasion de sa première publication sur le sujet.
Article original[modifier | modifier le wikicode]
BARIL Daniel, 2008, Être amoureux… de chevaux, dans Forum, 17 février 2008
Être amoureux… de chevaux
Christopher Earls révise son analyse de la zoophilie à la lumière de nouvelles données
Forum, 17 février 2008
http://www.nouvelles.umontreal.ca/archives/2007-2008/content/view/989/227/index.html
Parmi les déviations sexuelles, la zoophilie est de loin celle qui suscite le plus d’aversion, qui soulève le plus de questions et qui demeure la plus méconnue. Comme il existe peu de descriptions cliniques dans la littérature, chaque nouveau cas devient en lui-même un sujet d’analyse.
Spécialiste des comportements sexuels violents, Christopher Earls, professeur au Département de psychologie, a eu à se pencher sur quelques rares cas de zoophilie exclusive au cours des dernières années. L’intérêt scientifique pour ce comportement réside dans le fait qu’il est souvent associé à d’autres formes de sexualité déviante avec lesquelles il partage des caractéristiques.
Dans un article récent sur le sujet (Archives of Sexual Behavior, décembre 2007), Christopher Earls a substantiellement modifié la perception qu’il avait de la zoophilie et à laquelle Forum avait donné écho («L’homme qui aimait trop les chevaux», 20 janvier 2003).
«En 25 ans de pratique, dit-il, je n’avais rencontré qu’un seul cas de zoophilie et j’étais convaincu que c’était extrêmement rare.» Il continue de croire que ce comportement ne doit concerner qu’une fraction de un pour cent de l’ensemble de la population, mais le cas rencontré à l’époque ne serait pas, de son propre aveu, représentatif de la déviance.
Le cas en question était plutôt pathétique: un homme d’une cinquantaine d’années avait tué sa jument, qu’il disait aimer et avec laquelle il vivait une sexualité exclusive, parce qu’il était jaloux de la relation qu’elle avait eue avec un étalon. L’individu vivait en milieu rural et souffrait d’un retard intellectuel.
Ces caractéristiques sont souvent présentes dans les manifestations de la bestialité et tout indiquait qu’il s’agissait d’un cas type. Une autre particularité souvent relevée est l’impossibilité, pour le zoophile, de trouver des partenaires sexuels humains, la bestialité devenant alors compensatoire. Mais le zoophile de l’étude ne montrait aucun intérêt sexuel pour ses semblables, qu’ils soient hommes, femmes ou enfants. C’était un cas de zoophilie pure.
Des zoophiles «équilibrés»
La publication de cette histoire a valu au chercheur un abondant courrier, dont le témoignage d’un second zoophile exclusif. Celui-ci remettait en question le portrait présenté, notamment en ce qui concerne le retard mental et le manque de partenaires.
Sous le pseudonyme de Possum, l’individu disait avoir eu une enfance sans histoire au sein d’une famille tout à fait normale. Contrairement aux garçons de son âge, ce n’était pas les filles qui l’attiraient à l’adolescence mais les chevaux. Cherchant à ressembler aux autres, il s’est imposé quelques explorations sexuelles, mais les filles lui inspiraient plutôt du dégout. À 17 ans, il a eu sa première relation sexuelle avec une jument.
Possum a fait des études universitaires en médecine et a poursuivi une carrière en recherche médicale. Toujours désireux de se conformer à «la norme», il a consulté plusieurs professionnels, s’est marié et a eu deux enfants. Après quelques années, il a quitté sa famille pour s’installer dans une fermette avec deux juments! «Maintenant, la vie est belle, j’ai trouvé ma voie, j’ai atteint ma destinée et je vis heureux et en paix», mentionne-t-il dans son témoignage.
Entretemps, la prolifération de sites Internet consacrés à la bestialité a amené d’autres chercheurs à préciser le portrait de ces amoureux des bêtes. Selon ce qu’en rapporte Christopher Earls, cette pratique représente rarement une sexualité de substitution et ceux qui s’y adonnent l’ont délibérément recherchée. Dans un échantillon de 82 hommes et 11 femmes, 71 % affirment mener une vie équilibrée et 94 % ne voient pas de raisons de mettre fin à leur comportement. Pour les deux tiers des répondants, la bestialité est la pratique principale ou exclusive. Deux autres études donnent des résultats semblables et précisent que plus de 80 % des zoophiles ont fait des études collégiales. Pour la plupart, la première expérience de bestialité est survenue tôt, soit entre 11 et 15 ans, avant toute autre expérience avec des personnes.
Distinguer bestialité et zoophilie
Selon le professeur Earls, le tableau précédemment tracé de la zoophilie comportait sans doute un biais d’échantillonnage puisque les seuls cas connus avaient été découverts dans des hôpitaux ou des prisons. Ces nouvelles données l’incitent à proposer une distinction entre bestialité et zoophilie, deux termes indifférenciés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
«La bestialité est l’acte sexuel avec un animal, qui peut être exploratoire, alors que la zoophilie devrait désigner la préférence pour cette pratique lorsque des partenaires humains sont disponibles», fait-il observer, en ajoutant que tous ceux qui ont un attrait pour une telle sexualité ne vont pas nécessairement passer à l’acte.
Les causes d’un tel attrait demeurent plutôt méconnues. Christopher Earls distingue toutefois trois caractéristiques: la zoophilie concerne presque exclusivement des hommes (les rares femmes qui s’y livrent, en dehors de l’industrie pornographique, sont des conjointes de zoophiles); elle est vécue comme une orientation spontanée plutôt qu’un conditionnement social; elle est souvent liée à d’autres intérêts sexuels atypiques comme l’homosexualité ou la bisexualité.
Ces trois caractéristiques étant souvent attribuées à la plupart des paraphilies ou comportements sexuels déviants, une meilleure compréhension de la zoophilie pourrait jeter un nouvel éclairage sur l’ensemble de ces pratiques divergentes, estime le chercheur.
Daniel Baril