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Caniche (bigas luna)
Caniche (bigas luna)


"Dans une baraque sur le point de tomber en ruine, deux monstres humains, taraudés par des pulsions inavouables (incestueux et zoophiles, s'il vous plaît), se disputent l'affection d'un pauvre petit caniche blanc comme la neige. Ils sont les antihéros beaufs d'un thriller très malsain orchestré par un Bigas Luna qui ricane sournoisement de ses contemporains. Bienvenue dans les vestiges d'une Espagne post-Franco.
"Dans une baraque sur le point de tomber en ruine, deux monstres humains, taraudés par des pulsions inavouables (incestueux et [[zoophile|zoophiles]], s'il vous plaît), se disputent l'affection d'un pauvre petit caniche blanc comme la neige. Ils sont les antihéros beaufs d'un thriller très malsain orchestré par un Bigas Luna qui ricane sournoisement de ses contemporains. Bienvenue dans les vestiges d'une Espagne post-Franco.




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"Cette déliquescence morale donne une raison d'être au film qui, au-delà de la critique sociale et politique, dépeint une laideur humaine."
"Cette déliquescence morale donne une raison d'être au film qui, au-delà de la critique sociale et politique, dépeint une laideur humaine."
Pendant trop longtemps, on a eu tendance à résumer le cinéma espagnol des années 70-80 - peut-être l'un des plus inventifs en Europe - aux excentricités rougeoyantes de Pédro Almodovar, chef de file de la Movida madrilène. Et, du coup, à moins mettre en avant des cinéastes-brûlots tout aussi talentueux - si ce n'est plus - qui essayaient avec beaucoup de malice d'aborder sans rougir des sujets fâcheux. On pourrait citer une pelletée de cas déjà évoqués dans les colonnes du Coin du Cinéphile comme Eloy de La Iglesia avec Cannibal Man ; Vicente Aranda avec Cambio de Sexo ; Victor Erice avec L'esprit de la ruche ; ou, plus tardivement, Agusti Villaronga avec Tras el Cristal. Tout plein d'artistes qui avaient comme point commun de construire des films comme des bombes à retardement en rendant compte des dysfonctionnements d'un pays en pleine panne identitaire sur des registres différents (fantastique, érotisme, drame etc.). Signes d'une grande vitalité créative. Parmi eux, il y a Bigas Luna, porte-flambeau de l'avant-garde barcelonaise, dont la filmographie ne se résume pas à une réussite artistique et commerciale connue de tous. A savoir Jambon, jambon suivi des deux autres opus de sa trilogie sensuelle, Macho et Le téton et la lune. Phénomène d'autant plus cruel que les films du maestro ayant suivi ce coup d'éclat sont souvent moins passionnants que ceux qui l'ont précédé. On oublie aussi de dire que Bigas Luna est moins le joyeux polisson qui multiplie les gags salaces qu'un homme fasciné par la transgression des tabous. Dans les années 70, son rire était moins franc, plus grinçant. Plus percutant aussi parce qu'on n'avait pas franchement envie de se poiler.
Pendant trop longtemps, on a eu tendance à résumer le cinéma espagnol des années 70-80 - peut-être l'un des plus inventifs en Europe - aux excentricités rougeoyantes de Pédro Almodovar, chef de file de la Movida madrilène. Et, du coup, à moins mettre en avant des cinéastes-brûlots tout aussi talentueux - si ce n'est plus - qui essayaient avec beaucoup de malice d'aborder sans rougir des sujets fâcheux. On pourrait citer une pelletée de cas déjà évoqués dans les colonnes du Coin du Cinéphile comme Eloy de La Iglesia avec Cannibal Man ; Vicente Aranda avec Cambio de Sexo ; Victor Erice avec L'esprit de la ruche ; ou, plus tardivement, Agusti Villaronga avec Tras el Cristal. Tout plein d'artistes qui avaient comme point commun de construire des films comme des bombes à retardement en rendant compte des dysfonctionnements d'un pays en pleine panne identitaire sur des registres différents (fantastique, érotisme, drame etc.). Signes d'une grande vitalité créative. Parmi eux, il y a Bigas Luna, porte-flambeau de l'avant-garde barcelonaise, dont la filmographie ne se résume pas à une réussite artistique et commerciale connue de tous. A savoir Jambon, jambon suivi des deux autres opus de sa trilogie sensuelle, Macho et Le téton et la lune. Phénomène d'autant plus cruel que les films du maestro ayant suivi ce coup d'éclat sont souvent moins passionnants que ceux qui l'ont précédé. On oublie aussi de dire que Bigas Luna est moins le joyeux polisson qui multiplie les gags salaces qu'un homme fasciné par la transgression des tabous. Dans les années 70, son rire était moins franc, plus grinçant. Plus percutant aussi parce qu'on n'avait pas franchement envie de se poiler.
Ainsi, dans Caniche, titre qui sous-tend l'innommable, il abordait deux sujets risqués: l'inceste et la zoophilie. Et autant le dire illico: le résultat vaut moins pour son vernis spectaculaire que pour sa faculté à faire naître une atmosphère dérangeante en jouant sur la suggestion ouatée et le hors champ, révélateur d'un malaise qu'on refuse de voir en face. Avant Caniche, on ne savait pas grand-chose de Bigas Luna. Motif : il n'avait pas encore fait parler de lui à l'étranger. En Espagne, on le connaissait pour ses dons polyvalents (architecte et designer) et ses débuts chauds bouillants comme réalisateur de courts métrages pornographiques. On lui doit notamment un rarissime Tatouage, adaptation très convaincante du roman de Manuel Vázquez Montalbán. On sait l'artiste friand des atmosphères closes où les personnages révèlent leurs vraies personnalités tordues. Avec Caniche, il aborde la misère sexuelle à travers un frère et une sœur incestueux qui doivent veiller sur une vieille mère hystérique et vivent dans une demeure bourgeoise en plein déclin, vestige Franquiste qui leur tient lieu d'héritage. Comme des enchaînés. Bernard, le premier, passe son temps à nettoyer une piscine dans laquelle il retrouve des rats crevés ; Eloisa, la seconde, donne toute l'affection qu'elle ne reçoit pas sur son petit caniche qu'elle aime un peu trop amoureusement. Ces deux personnages maladifs sont passés au scalpel par un réalisateur visiblement peu soucieux de livrer un portrait sympa de ses contemporains. Les deux personnages principaux ressemblent à des fantômes errants qui appartiennent à une ancienne génération. Des enfants d'une Espagne frustrée aux corps adipeux qui essayent de sauver les apparences et se targuent d'avoir beaucoup d'argent auprès de leurs amis alors qu'ils sont ruinés, sans le moindre kopeck dans le coffre-fort.
Ainsi, dans Caniche, titre qui sous-tend l'innommable, il abordait deux sujets risqués: l'inceste et la [[zoophilie]]. Et autant le dire illico: le résultat vaut moins pour son vernis spectaculaire que pour sa faculté à faire naître une atmosphère dérangeante en jouant sur la suggestion ouatée et le hors champ, révélateur d'un malaise qu'on refuse de voir en face. Avant Caniche, on ne savait pas grand-chose de Bigas Luna. Motif : il n'avait pas encore fait parler de lui à l'étranger. En Espagne, on le connaissait pour ses dons polyvalents (architecte et designer) et ses débuts chauds bouillants comme réalisateur de courts métrages pornographiques. On lui doit notamment un rarissime Tatouage, adaptation très convaincante du roman de Manuel Vázquez Montalbán. On sait l'artiste friand des atmosphères closes où les personnages révèlent leurs vraies personnalités tordues. Avec Caniche, il aborde la misère sexuelle à travers un frère et une sœur incestueux qui doivent veiller sur une vieille mère hystérique et vivent dans une demeure bourgeoise en plein déclin, vestige Franquiste qui leur tient lieu d'héritage. Comme des enchaînés. Bernard, le premier, passe son temps à nettoyer une piscine dans laquelle il retrouve des rats crevés ; Eloisa, la seconde, donne toute l'affection qu'elle ne reçoit pas sur son petit caniche qu'elle aime un peu trop amoureusement. Ces deux personnages maladifs sont passés au scalpel par un réalisateur visiblement peu soucieux de livrer un portrait sympa de ses contemporains. Les deux personnages principaux ressemblent à des fantômes errants qui appartiennent à une ancienne génération. Des enfants d'une Espagne frustrée aux corps adipeux qui essayent de sauver les apparences et se targuent d'avoir beaucoup d'argent auprès de leurs amis alors qu'ils sont ruinés, sans le moindre kopeck dans le coffre-fort.
Cette déliquescence morale donne une raison d'être au film qui, au-delà de la critique sociale et politique, dépeint une laideur humaine. A la rigueur, Dany (le caniche du titre) soumis aux mamours intempestifs de la vieille fille égoïste serait le seul personnage qui mériterait d'être sauvé. Enfant chouchouté et improbable de cette union contre-nature qui suscite la jalousie du frère impuissant, la bébête se présente comme le témoin passif de l'histoire. Il agit comme un être humain tandis que ses deux maîtres ressemblent de plus en plus à des bêtes vénales. Pendant toute la première partie du film, le spectateur est placé dans une situation presque désagréable: celle du voyeur obligé de subir un quotidien pathétique où deux individus seuls au monde se complaisent dans leurs manies merdiques. La mise en scène de Bigas Luna retranscrit magistralement cette sérialisation stérile de faits et gestes inutiles jusque dans la manière dont le frère et la sœur - qui ne se ressemblent pas mais semblent unis dans la même crasse existentielle - s'habillent, mangent, parlent et donc se comportent. La première demi-heure est exclusivement focalisée sur eux, en ne donnant aucun point de vue extérieur, en utilisant juste de brusques mouvements de caméra et une bande-son déstabilisante. Un peu comme si un monstre caché - le même que celui du Possession, d'Andrzej Zulawski -, mettait un long moment avant de surgir dans le champ.
Cette déliquescence morale donne une raison d'être au film qui, au-delà de la critique sociale et politique, dépeint une laideur humaine. A la rigueur, Dany (le caniche du titre) soumis aux mamours intempestifs de la vieille fille égoïste serait le seul personnage qui mériterait d'être sauvé. Enfant chouchouté et improbable de cette union [[contre-nature]] qui suscite la jalousie du frère impuissant, la bébête se présente comme le témoin passif de l'histoire. Il agit comme un être humain tandis que ses deux maîtres ressemblent de plus en plus à des bêtes vénales. Pendant toute la première partie du film, le spectateur est placé dans une situation presque désagréable: celle du voyeur obligé de subir un quotidien pathétique où deux individus seuls au monde se complaisent dans leurs manies merdiques. La mise en scène de Bigas Luna retranscrit magistralement cette sérialisation stérile de faits et gestes inutiles jusque dans la manière dont le frère et la sœur - qui ne se ressemblent pas mais semblent unis dans la même crasse existentielle - s'habillent, mangent, parlent et donc se comportent. La première demi-heure est exclusivement focalisée sur eux, en ne donnant aucun point de vue extérieur, en utilisant juste de brusques mouvements de caméra et une bande-son déstabilisante. Un peu comme si un monstre caché - le même que celui du Possession, d'Andrzej Zulawski -, mettait un long moment avant de surgir dans le champ.
Au premier degré, cette longue introduction met sous tension pour nous préparer au pire et ressemble aux prémisses d'un film d'horreur. Au second, ça ressemble plus à un sitcom déviant, prodigieusement malsain et outrageusement barré. Bigas Luna ne cherche pas à créer d'empathie ou de sympathie avec ses personnages et les montre avec autant de proximité (la caméra leur colle aux basques) que de distance (ils cumulent les tares pour que l'on ne soit jamais tenté de céder à une identification). Ce qui implique par moment une exagération qui confine à la caricature incisive, vaguement misanthrope. La suite, non moins impressionnante, avec le même climat lourd et dérangeant, suit des rails plus visibles en appuyant encore plus férocement le trait, en exacerbant des psychologies détestables et en donnant au récit des allures de thriller impitoyable où rien ni personne n'est à sauver. Un vrai film de pervers pur et dur, quoi. Alors, oui, Bigas Luna que l'on connaît si joyeux ne cherche pas à être aimable. Mais son intransigeance est le prix à payer. Rares seront ceux qui accepteront ce vertige mais ceux qui auront osé franchir le cap découvriront l'une des œuvres les plus étranges que le cinéma espagnol ait jamais accouché. Une récompense qui demande forcément que l'on prenne un peu sur soi. Inédit en zone 2, Caniche dérange longtemps en nous rappelant dans un ultime élan (plan final avec le toutou lâché dans la rue, enfin libre et libéré de ses maîtres démoniaques) que tout ce qui a été montré appartient désormais au passé et que l'avenir est synonyme d'espoir, de rencontres avec des hommes et des femmes forcément plus fréquentables. C'est aussi ce qui sauve le film du cloaque suicidaire et peut-être la réputation de Luna, misanthrope mais pas trop. La suite l'a prouvé: ses personnages ont bénéficié d'un traitement plus dosé et ne sont plus foncièrement mauvais. Il leur arrive même d'être bons.
Au premier degré, cette longue introduction met sous tension pour nous préparer au pire et ressemble aux prémisses d'un film d'horreur. Au second, ça ressemble plus à un sitcom déviant, prodigieusement malsain et outrageusement barré. Bigas Luna ne cherche pas à créer d'empathie ou de sympathie avec ses personnages et les montre avec autant de proximité (la caméra leur colle aux basques) que de distance (ils cumulent les tares pour que l'on ne soit jamais tenté de céder à une identification). Ce qui implique par moment une exagération qui confine à la caricature incisive, vaguement misanthrope. La suite, non moins impressionnante, avec le même climat lourd et dérangeant, suit des rails plus visibles en appuyant encore plus férocement le trait, en exacerbant des psychologies détestables et en donnant au récit des allures de thriller impitoyable où rien ni personne n'est à sauver. Un vrai film de pervers pur et dur, quoi. Alors, oui, Bigas Luna que l'on connaît si joyeux ne cherche pas à être aimable. Mais son intransigeance est le prix à payer. Rares seront ceux qui accepteront ce vertige mais ceux qui auront osé franchir le cap découvriront l'une des œuvres les plus étranges que le cinéma espagnol ait jamais accouché. Une récompense qui demande forcément que l'on prenne un peu sur soi. Inédit en zone 2, Caniche dérange longtemps en nous rappelant dans un ultime élan (plan final avec le toutou lâché dans la rue, enfin libre et libéré de ses maîtres démoniaques) que tout ce qui a été montré appartient désormais au passé et que l'avenir est synonyme d'espoir, de rencontres avec des hommes et des femmes forcément plus fréquentables. C'est aussi ce qui sauve le film du cloaque suicidaire et peut-être la réputation de Luna, misanthrope mais pas trop. La suite l'a prouvé: ses personnages ont bénéficié d'un traitement plus dosé et ne sont plus foncièrement mauvais. Il leur arrive même d'être bons.



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Caniche (bigas luna)

"Dans une baraque sur le point de tomber en ruine, deux monstres humains, taraudés par des pulsions inavouables (incestueux et zoophiles, s'il vous plaît), se disputent l'affection d'un pauvre petit caniche blanc comme la neige. Ils sont les antihéros beaufs d'un thriller très malsain orchestré par un Bigas Luna qui ricane sournoisement de ses contemporains. Bienvenue dans les vestiges d'une Espagne post-Franco.


"Cette déliquescence morale donne une raison d'être au film qui, au-delà de la critique sociale et politique, dépeint une laideur humaine." Pendant trop longtemps, on a eu tendance à résumer le cinéma espagnol des années 70-80 - peut-être l'un des plus inventifs en Europe - aux excentricités rougeoyantes de Pédro Almodovar, chef de file de la Movida madrilène. Et, du coup, à moins mettre en avant des cinéastes-brûlots tout aussi talentueux - si ce n'est plus - qui essayaient avec beaucoup de malice d'aborder sans rougir des sujets fâcheux. On pourrait citer une pelletée de cas déjà évoqués dans les colonnes du Coin du Cinéphile comme Eloy de La Iglesia avec Cannibal Man ; Vicente Aranda avec Cambio de Sexo ; Victor Erice avec L'esprit de la ruche ; ou, plus tardivement, Agusti Villaronga avec Tras el Cristal. Tout plein d'artistes qui avaient comme point commun de construire des films comme des bombes à retardement en rendant compte des dysfonctionnements d'un pays en pleine panne identitaire sur des registres différents (fantastique, érotisme, drame etc.). Signes d'une grande vitalité créative. Parmi eux, il y a Bigas Luna, porte-flambeau de l'avant-garde barcelonaise, dont la filmographie ne se résume pas à une réussite artistique et commerciale connue de tous. A savoir Jambon, jambon suivi des deux autres opus de sa trilogie sensuelle, Macho et Le téton et la lune. Phénomène d'autant plus cruel que les films du maestro ayant suivi ce coup d'éclat sont souvent moins passionnants que ceux qui l'ont précédé. On oublie aussi de dire que Bigas Luna est moins le joyeux polisson qui multiplie les gags salaces qu'un homme fasciné par la transgression des tabous. Dans les années 70, son rire était moins franc, plus grinçant. Plus percutant aussi parce qu'on n'avait pas franchement envie de se poiler. Ainsi, dans Caniche, titre qui sous-tend l'innommable, il abordait deux sujets risqués: l'inceste et la zoophilie. Et autant le dire illico: le résultat vaut moins pour son vernis spectaculaire que pour sa faculté à faire naître une atmosphère dérangeante en jouant sur la suggestion ouatée et le hors champ, révélateur d'un malaise qu'on refuse de voir en face. Avant Caniche, on ne savait pas grand-chose de Bigas Luna. Motif : il n'avait pas encore fait parler de lui à l'étranger. En Espagne, on le connaissait pour ses dons polyvalents (architecte et designer) et ses débuts chauds bouillants comme réalisateur de courts métrages pornographiques. On lui doit notamment un rarissime Tatouage, adaptation très convaincante du roman de Manuel Vázquez Montalbán. On sait l'artiste friand des atmosphères closes où les personnages révèlent leurs vraies personnalités tordues. Avec Caniche, il aborde la misère sexuelle à travers un frère et une sœur incestueux qui doivent veiller sur une vieille mère hystérique et vivent dans une demeure bourgeoise en plein déclin, vestige Franquiste qui leur tient lieu d'héritage. Comme des enchaînés. Bernard, le premier, passe son temps à nettoyer une piscine dans laquelle il retrouve des rats crevés ; Eloisa, la seconde, donne toute l'affection qu'elle ne reçoit pas sur son petit caniche qu'elle aime un peu trop amoureusement. Ces deux personnages maladifs sont passés au scalpel par un réalisateur visiblement peu soucieux de livrer un portrait sympa de ses contemporains. Les deux personnages principaux ressemblent à des fantômes errants qui appartiennent à une ancienne génération. Des enfants d'une Espagne frustrée aux corps adipeux qui essayent de sauver les apparences et se targuent d'avoir beaucoup d'argent auprès de leurs amis alors qu'ils sont ruinés, sans le moindre kopeck dans le coffre-fort. Cette déliquescence morale donne une raison d'être au film qui, au-delà de la critique sociale et politique, dépeint une laideur humaine. A la rigueur, Dany (le caniche du titre) soumis aux mamours intempestifs de la vieille fille égoïste serait le seul personnage qui mériterait d'être sauvé. Enfant chouchouté et improbable de cette union contre-nature qui suscite la jalousie du frère impuissant, la bébête se présente comme le témoin passif de l'histoire. Il agit comme un être humain tandis que ses deux maîtres ressemblent de plus en plus à des bêtes vénales. Pendant toute la première partie du film, le spectateur est placé dans une situation presque désagréable: celle du voyeur obligé de subir un quotidien pathétique où deux individus seuls au monde se complaisent dans leurs manies merdiques. La mise en scène de Bigas Luna retranscrit magistralement cette sérialisation stérile de faits et gestes inutiles jusque dans la manière dont le frère et la sœur - qui ne se ressemblent pas mais semblent unis dans la même crasse existentielle - s'habillent, mangent, parlent et donc se comportent. La première demi-heure est exclusivement focalisée sur eux, en ne donnant aucun point de vue extérieur, en utilisant juste de brusques mouvements de caméra et une bande-son déstabilisante. Un peu comme si un monstre caché - le même que celui du Possession, d'Andrzej Zulawski -, mettait un long moment avant de surgir dans le champ. Au premier degré, cette longue introduction met sous tension pour nous préparer au pire et ressemble aux prémisses d'un film d'horreur. Au second, ça ressemble plus à un sitcom déviant, prodigieusement malsain et outrageusement barré. Bigas Luna ne cherche pas à créer d'empathie ou de sympathie avec ses personnages et les montre avec autant de proximité (la caméra leur colle aux basques) que de distance (ils cumulent les tares pour que l'on ne soit jamais tenté de céder à une identification). Ce qui implique par moment une exagération qui confine à la caricature incisive, vaguement misanthrope. La suite, non moins impressionnante, avec le même climat lourd et dérangeant, suit des rails plus visibles en appuyant encore plus férocement le trait, en exacerbant des psychologies détestables et en donnant au récit des allures de thriller impitoyable où rien ni personne n'est à sauver. Un vrai film de pervers pur et dur, quoi. Alors, oui, Bigas Luna que l'on connaît si joyeux ne cherche pas à être aimable. Mais son intransigeance est le prix à payer. Rares seront ceux qui accepteront ce vertige mais ceux qui auront osé franchir le cap découvriront l'une des œuvres les plus étranges que le cinéma espagnol ait jamais accouché. Une récompense qui demande forcément que l'on prenne un peu sur soi. Inédit en zone 2, Caniche dérange longtemps en nous rappelant dans un ultime élan (plan final avec le toutou lâché dans la rue, enfin libre et libéré de ses maîtres démoniaques) que tout ce qui a été montré appartient désormais au passé et que l'avenir est synonyme d'espoir, de rencontres avec des hommes et des femmes forcément plus fréquentables. C'est aussi ce qui sauve le film du cloaque suicidaire et peut-être la réputation de Luna, misanthrope mais pas trop. La suite l'a prouvé: ses personnages ont bénéficié d'un traitement plus dosé et ne sont plus foncièrement mauvais. Il leur arrive même d'être bons.

Auteur : Romain Le Vern

pour Dvdram.com 11/03/2008

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