« Art. Bestialité » : différence entre les versions

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Ouvrage de psychiatrie

L. Moreau, « Bestialité », Les aberrations du sens génésique, Éd. Asselin et Houzeau, Paris, 1887, pp. 242-247

"1° Bestialité [1]

La bestialité est l’union avec une bête vivante douée de sentiments et de mouvements qui lui sont propres.

Cette déviation de l’appétit génésique était connue de l’antiquité qui, ne pouvant expliquer une si épouvantable anomalie, en fit comme toujours remonter l’origine à la vengeance de Vénus. L’histoire la plus connue est celle de Pasiphaë, qui conçut une passion désordonnée pour un taureau d’une blancheur éblouissante, et de ce commerce infâme naquit le minotaure, monstre moitié homme, moitié taureau.

Les annales de la Grèce, de l’Asie, de Rome, renferment de nombreux récits de faits de ce genre.

« Il arriva, dit Hérodote, que pendant que j’étais en Égypte, une chose monstrueuse, […], survint et fut connue de tout le monde : hircus cum muliere coüt propalam, quod in ostentationem hominum pervenit. » Sans doute Hérodote a sujet d’être scandalisé de tels faits ; mais en sa qualité d’historien il eût pu se livrer à quelques recherches sur l’origine et la véritable signification de cette coutume : ce n’était pas un fait isolé ; celte pratique était périodique, et très en honneur dans un grand nombre de localités et notamment dans la ville de Thmuis. Dans le nome de Mendès, où cet historien se trouvait lorsqu’il fut témoin de ce fait qui le révolte, on entretenait un bouc vivant, et les femmes s’enfermaient avec lui dans le but d’accomplir le rite générateur.

Ce symbole, si grossièrement matérialisé, n’est pas seulement attesté par Hérodote : Strabon [2], Plutarque [3], Clément d’Alexandrie [4], en parlent aussi. Braissac, dans son histoire de la Religion, donne les preuves de l’existence de ce culte parmi les Israélites [5].

De nos jours, dans certaines contrées de l’Orient, en Syrie, en Égypte, en Afrique principalement, la bestialité est encore très commune et n’est pas considérée avec toute l’horreur qu’elle inspire en Europe. Tout est affaire de moeurs, de tempérament, de coutumes.

Ces actes commis le plus ordinairement par des idiots, des imbéciles, des gens blasés sur les plaisirs des sens, par des êtres à intelligence animale que nous avons déjà signalés, portent généralement avec eux le cachet de la plus franche monomanie. D’autres fois cependant, elle est commise par des gens parfaitement sains d’esprit, mais sans éducation et imbus des préjugés populaires suivant lesquels on peut se guérir d’une affection vénérienne en la communiquant à un animal qui joue au point de vue du physique le rôle que le bouc émissaire jouait au moyen âge, en prenant à son compte les péchés des hommes.

La perversion génitale (nous avons déjà eu occasion de le dire), poussée à son summum, enchaîne, annihile la liberté morale aussi bien que la manie la plus aiguë, par exemple. Il y a désharmonie, anarchie véritable entre les diverses puissances intellectuelles, l’impulsion devient irrésistible.

Il n’est pas rare de voir traduire en justice, pour outrage à la pudeur, des gens surpris à polluer des chiens, des brebis, des vaches : d’autres vont plus loin et consomment avec les animaux l’acte vénérien.

Ces crimes, autrefois punis avec la plus extrême rigueur, ainsi qu’en font foi les procès-verbaux des jugements [6], ont été depuis et sont encore traités beaucoup moins sévèrement.

On connaît la réponse du grand Frédéric à qui on avait donné à signer la peine de mort d’un de ses sujets convaincu de ce crime avec son ânesse. Le roi ne confirma pas la sentence et écrivit au bas « qu’il donnait dans ses États liberté de conscience et de v… [7]. »

La bestialité se rencontre dans les deux sexes : plus fréquente chez l’homme, la science n’a pas moins enregistré de nombreux exemples de ces monstruosités chez des femmes de mauvaise vie, se faisant… saillir ou couvrir par des animaux.

On comprendra que l’on n’ait point à tracer des symptômes de cette dépravation. Les faits suffiront à faire connaître ces perversions génésiques, et nous laissons au lecteur le soin d’en tirer les déductions psychologiques qu’il jugera convenables.

— Le sieur E… trente-cinq ans, homme de peine, est condamné le 17 janvier 1867 par la huitième chambre du tribunal correctionnel de la Seine, à trois mois de prison pour outrage public à la pudeur.

Il a reconnu s’être livré à des actes de bestialité sur des poules. Les faits se sont passés chez un logeur de la rue des Gravilliers. Ce logeur avait trouvé une de ses poules morte. Il a observé E…, un de ses locataires, et l’a surpris au moment où l’acte venait d’être consommé. La poule était blessée et E… portait sur ses vêtements des plumes et des traces de sang.

— N… fut condamné par la cour de Paris à trois mois de prison pour le fait suivant :

Le sieur N…, cantonnier chef, fut aperçu par le journalier L…, ayant mis son pantalon bas et ses parties sexuelles à nu, son corps courbé en avant, la face contre terre.

Alors L… vit N… avec un chien, adossés l’un contre l’autre. N… dans cette position, avait sa main droite contre les parties sexuelles de l’animal. L… resta spectateur pendant plusieurs minutes, puis, l’acte consommé, aperçut le membre viril du chien sortir du fondement de N.

L… ajoute que depuis ce jour le chien ne peut plus quitter N.

« Ce fait de bestialité, dit le professeur Tardieu [8], a été l’occasion d’une expertise médico-légale très neuve dans son objet de la part d’un médecin vétérinaire, dont la conclusion est la suivante :

« Le fait de pédérastie du chien et de l’homme est impossible, d’après la conformation anatomique de l’anus de l’un et du pénis de l’autre. »

« Je n’aurais pas osé, avoue M. Tardieu, me prononcer aussi formellement pour la négative… »

Mon père a eu l’occasion, à trois reprises différentes, de constater de visu des faits de ce genre. Ii surprit à la campagne un enfant de quinze ans avec une chèvre, un soldat avec une chienne, enfin un sapeur cohabitant avec une jument, pour se guérir, disait-il, d’un mal vénérien.

Certes les faits que nous venons de passer en revue sont monstrueux, mais ne sont pourtant pas comparables à ceux qu’il nous reste à citer. Jusqu’ici, nous avons assisté à la dépravation morbide qui entraînait l’homme à chercher des jouissances avec les êtres animés autres que ses semblables. Dans les pages suivantes, rompant tout le lien qui le rattache à l’humanité, c’est à la matière inerte, à la putréfaction, pour tout dire, que nous le verrons s’adresser.

Notes

[1] Nous n’entendons parler ici que des faits de bestialité bien et dûment constatés, et nullement de ces démonomaniaques dont les hallucinations enfantaient le commerce avec le démon sous la forme de bouc ou de lycantropes qui, au milieu même des plus violentes tortures, avouèrent s’être accouplés avec des louves, et avoir éprouvé pendant ces accouplements autant de plaisir que s’ils eussent été unis à des femmes.

[2] Livre VII, § 3.

[3] Gryllus, p. 988-989.

[4] Protrept, p. 9.

[5] Braissac, t. II, p. 263.

[6] Pierre Grondeau, gagne-denier à Loudun, pour bestialité avec une ânesse, est condamné par le parlement de Paris à estre étranglé et bruslé avec l’ânesse, et ses biens confisqués. 9 novembre 1542. — J. Gion, laboureur à Chamarolles. est condamné par le parlement de Paris pour bestialité avec une vache à estre étranglé et bruslé avec ladite vache. 24 avril 1550. (Bibl. nat., Manuscrits Suppl. franc., n° 10969.)

[7] Voltaire, Mémoires, p. 100.

[8] Tardieu, Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs. Voir p. 13 et suiv., la consultation médico-légale do M. Janet, vétérinaire à Rambouillet."