Associations de la PA/Animal Cross/Affaire du Doxxing/Conclusions Thouy
Par convocation du 22 mars 2023, Monsieur Benoît Thomé a été renvoyé devant le Tribunal Correctionnel de Pau.
Il lui est reproché :
« d’avoir à SERRES CASTET, le 31 octobre 2021, révélé, diffusé, transmis par quelque moyen que ce soit des information relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle de xxx permettant de l'identifier ou de le localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque immédiat d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer, en l'espèce en désignant xxx comme un zoophile et en révélant sa commune d'habitation sur le site de l'association ANIMAL CROSS, faits prévus par ART.223-1-1 AL.1 C.PENAL. et réprimés par ART.223-1-1 AL.l C.PENAL ».
Après un rappel des faits (1.), Monsieur Benoît Thomé établira à titre principal que sa responsabilité ne peut être engagée au titre de l’infraction visée à l’article 223-1-1 du Code Pénal (2.1). A titre subsidiaire, il établira que l’infraction qui lui est reprochée n’est pas caractérisée (2.2).
1. RAPPEL DES FAITS
L’association Animal Cross est une association loi 1901 de protection animale et de défense de l’environnement.
Dans le cadre de son objet statutaire, elle mène plusieurs combats par le biais de campagnes d’information et de sensibilisation du public ou d’actions judiciaires.
Depuis plusieurs années, elle s’attache notamment à dénoncer les sévices de nature sexuelle dont les animaux sont victimes.
A cet effet, elle a activement œuvré auprès des parlementaires pour que soient adoptées des dispositions législatives complémentaires et plus strictes à l’encontre des auteurs de ces faits.
Grâce à ces démarches, ont été adoptés les articles 521-1-1 (atteintes sexuelles sur les animaux) et 521-1-2 du Code Pénal (production et diffusion d’images zoopornographiques) ainsi que les modifications des articles 227-24 du Code Pénal (exposition des mineurs aux images zoopornographiques) et 706-47 du Code de Procédure Pénale (inscription au FIJAIS).
Monsieur Benoît Thomé, actuel président de l’association, est à ce titre intervenu à plusieurs reprises auprès des parlementaires et dans la presse. Pour autant, cette campagne est menée et portée par l’ensemble des membres actifs de l’association.
Dans le cadre de cette campagne, l’association a été informée d’une interview donnée par un zoophile à des journalistes. Elle a également été informée de ce que l’auteur de cette interview est Monsieur xxx.
L’association a alors publié sur son site cette interview car elle s’inscrivait dans sa campagne de sensibilisation.
En effet, le sujet est peu connu et quoiqu’il concerne, selon l’association Animal Cross, des milliers de cas chaque année, seuls une dizaine de cas sont poursuivis devant les tribunaux et ainsi portés à la connaissance du grand public.
Cette interview était intéressante, selon l’association Animal Cross, en ce qu’elle émanait d’une personne zoophile, qui portait « la défense de [sa] façon de vivre, donc de certaines pratiques uniquement. Ces pratiques incluent la masturbation, la fellation et la pénétration par les animaux. » et exposait la conception de son « orientation sexuelle » (citation de l’interview donnée).
Constatant que son nom et sa commune de résidence avait été publiés (mais pas le nom de la rue, ni ses coordonnées téléphoniques) sous cet article le fin octobre 2021, Monsieur xxx a déposé plainte le 31 octobre 2021.
Monsieur Benoit Thomé est cité devant le Tribunal Correctionnel pour :
D'avoir à SERRES CASTET, le 31 octobre 2021, révélé, diffusé, transmis par quelque moyen que ce soit des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle de xxx permettant de l'identifier ou de le localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque immédiat d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer, en l'espèce en désignant xxx comme un zoophile et en révélant sa commune d'habitation sur le site de l'association ANIMAL CROSS, faits prévus par ART. 223-1-1 AL.1 C.PENAL. et réprimés par ART.223-1-1 AL.1 C.PENAL.
C’est en l’état que se présente ce dossier.
2. DISCUSSION
Il sera démontré, à titre principal, que l’infraction ne peut être imputée à Monsieur Benoît Thomé ni en qualité de directeur de la publication ou éditeur, ni en qualité d’auteur des propos poursuivis (2.1). A titre subsidiaire, il sera démontré que l’infraction reprochée à Monsieur Thomé n’est pas caractérisée (2.2).
2.1 A titre principal, l’infraction n’est pas imputable à Monsieur Benoît Thomé
L’article 223-1-1 du Code Pénal dispose :
« Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Lorsque les faits sont commis au préjudice d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou titulaire d'un mandat électif public ou d'un journaliste, au sens du deuxième alinéa de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. Lorsque les faits sont commis au préjudice d'une personne mineure, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. Lorsque les faits sont commis au préjudice d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. Lorsque les faits sont commis par voie de presse écrite ou audiovisuelle ou de communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables » (gras et soulignement ajoutés).
En l’espèce, il est reproché à Monsieur Thomé, en une qualité non précisée, la communication du prénom et nom de famille ainsi que de la commune d’habitation de Monsieur xxx sur le site internet de l’association « Animal Cross ». Il s’agit donc d’une « communication au public en ligne »
Par conséquent, le dernier alinéa de l’article 223-1-1 du Code Pénal s’applique.
La communication au public en ligne est régie par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (dite « LCEN »).
Aux termes de l’article 6 V de la LCEN :
« [l]es dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 précitée sont applicables aux services de communication au public en ligne et la prescription acquise dans les conditions prévues par l'article 65 de ladite loi » (gras ajouté).
Aux termes de l’article 42 la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, appartenant au chapitre V de cette loi :
« Seront passibles comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse dans l’ordre ci-après, savoir : 1° Les directeurs de publications ou éditeurs quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 6, les codirecteurs de la publication ; 2° A leur défaut, les auteurs ; 3° A défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4° A défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs. (…) » (gras et soulignement ajoutés).
Cet article est le siège du principe de la responsabilité dite « en cascade » (Fiche d’orientation Dalloz, Risques causés à autrui, septembre 2022).
L’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle pose le même principe :
« Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public. A défaut, l'auteur, et à défaut de l'auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal. (…) »
La Cour de cassation confirme que c’est le directeur de la publication qui en premier lieu doit répondre comme auteur principal (voir notamment en ce sens : Crim, 14 mars 2017, n°15-87.319).
Commentant l’article 223-1-1 du Code Pénal, la doctrine indique :
« [..] Relevons ensuite qu'un régime spécifique de responsabilité est institué lorsque les faits sont commis par voie de presse écrite ou audiovisuelle ou de communication au public en ligne : alors, « les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ». Cette formule, fréquente dans le code pénal, renvoie au principe d'exclusion de la responsabilité pénale des personnes morales et, surtout, à un régime très original de responsabilité des personnes physiques, généralement désigné sous l'appellation de responsabilité « en cascade » » (gras ajouté, Légipresse, Dalloz 2021, p.528, A propos du nouvel article 223-1-1 du code pénal )
L’infraction visée à l’article 223-1-1 du Code Pénal engage donc la responsabiltié pénale :
- du directeur de la publication ou de l’éditeur du site internet sur lequel les écrits litigieux ont été publiés ; et à défaut ;
- de l’auteur du propos
Or aucun élément du dossier pénal ne permet d’établir que Monsieur Benoît Thomé était le directeur de la publication ou l’éditeur du site internet de l’association Animal Cross le 31 octobre 2021.
En particulier, le procès-verbal de constat d’huissier du 31 octobre 2021 n’indique pas que Monsieur Thomé aurait été renseigné comme étant le directeur de la publication ou l’éditeur du site internet Animal Cross ce jour.
Ce procès-verbal ne comporte ainsi strictement aucune constatation du nom du Directeur de publication à l’époque des faits.
De surcroit, Monsieur Thomé conteste avoir eu cette qualité de Directeur de la publication.
Aucun élément du dossier ne permet davantage d’attribuer les propos litigueux (« [l]a personne qui a donné cet interview s’appelle M. xxx. Il demeure à xxx (xxxxx) ») à Monsieur Thomé.
De surcroit, Monsieur Thomé conteste fermement être l’auteur de ces propos publiés étant précisé que techniquement il ne sait pas comment publier sur le site et donc n’y procède jamais.
Monsieur Thomé n’est pas l’auteur des propos reprochés, il ne les a ni écrits ni diffusés.
Il n’a pas davantage donné son approbation préalable à leur diffusion.
Le Tribunal relèvera à cet égard que lors de son audition, Monsieur Thomé (i) n’a pas reconnu l’infraction et (ii) a toujours utilisé le pronom personnel « on », et non « je », le « on » renvoyant à l’association Animal Cross.
Aucun élément du dossier ne permet d’établir que Monsieur Benoît Thomé était directeur de la publication, éditeur ou auteur des propos incriminés. Les faits reprochés ne lui sont donc pas imputables.
Le Tribunal Correctionnel de Pau prononcera dès lors la relaxe de Monsieur Benoît Thomé.
2.2 A titre subsidiaire, l’infraction n’est pas constituée
L’article 223-1-1, al. 1er, du Code Pénal dispose :
« Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Il sera démontré ci-après que ni l’élément matériel (2.2.1) ni l’élément intentionnel de l’infraction reprochée à Monsieur Thomé ne sont caractérisés (2.2.2).
2.2.1 L’élément matériel de l’infraction n’est pas caractérisé
L’infraction visée à l’article 223-1-1 du Code Pénal suppose l’existence d’un risque, préexistant, direct, d’atteinte à la personne ou au bien d’une personne ou des membres de sa famille.
Dans sa décision du 13 août 2021, le Conseil Constitutionnel a précisé que le risque d’atteinte à la personne devait s’entendre d’un « risque direct d’atteinte à leur vie ou à leur intégrité ou encore à leurs bien » (Cons. Const., Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, para. 60).
D’un point de vue quantitatif, la doctrine analyse :
«344. (…) Cette formule se veut précise, voire précautionneuse, afin de bien encadrer ce dont il est question, à savoir la divulgation d'informations se révélant dangereuses par l'exploitation qui pourrait en être faite. Il s'agit de prévenir un tel danger, de le sanctionner à sa source, mais ce qui ne saurait passer par une simple référence à des risques non qualifiés, le principe de la légalité requérant que la conduite incriminée soit nettement plus explicite sur les tenants et les aboutissants du comportement répréhensible (…) 352. [q]uant à la causalité directe devant rendre compte du lien entre la diffusion des informations et les risques qu'elle entraîne, il faut la comprendre comme un indice d'exigence, en ce sens que la potentialité de réalisation de l'infraction en suspens doit relever d'une forte probabilité, et non s'entendre d'une simple possibilité lointaine » (gras et soulignement ajoutés, Répertoire de droit pénal et de procédure pénal, Dalloz, Titre 2 – risques causés à autrui par diffusion d’informations personnelles, 344 et 352).
Il en résulte que l’appréciation et la caractérisation du risque est un élément fondamental constitutif de l’infraction.
Il appartient d’une part à la juridiction de déterminer avec certitude l’existence d’un risque, mais cela ne suffit pas. Encore faut-il identifier la nature et caractériser l’importance de ce risque, afin d’apprécier s’il est de nature à faire encourir un danger grave à la personne dont les informations personnelles sont révélées.
Un tel risque n’existe pas en l’espèce.
Il est utile de souligner le contexte et les motifs ayant présidé à l’adoption de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ayant créé le nouvel article 223-1-1 du Code Pénal.
Cette loi a été adoptée dans les suites, notamment, de l’assassinat du Professeur Samuel Paty.
Le dossier de presse du Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer portant sur cette loi indique[1] :
[...]
L’esprit de la loi est de faire obstacle à des risques tels que celui qui s’est réalisé pour le Professeur Samuel Paty à savoir de prévenir un danger grave, réel et avéré pour la personne ou les membres de sa famille.
En l’occurrence et en premier lieu, la zoophilie n’est pas un sujet qui mobilise l’opinion publique au point que la vie, l’intégrité physique, ou même les biens des personnes zoophiles se trouvent menacés.
Une simple recherche dans le moteur de recherche « Google » à partir du mot « zoophilie » montre que les publications sur le sujet sont, d’une part, marginales et d’autre part, renvoient à des sites de vidéos zoopornographiques ou concernent des« affaires » de zoophilie présentées comme des faits divers par la presse régionale :
[...]
En second lieu, le nom et l’indication de la ville d’habitation de Monsieur xxx n’ont été publiés que sur le site internet d’Animal Cross. Il convient de relever que ni le nom de la rue ni le numéro de téléphone de Monsieur xxx n’ont été communiqué.
Or la fréquentation de ce site est très faible et en tout état de cause insuffisante à établir le risque caractérisé visé à l’article 223-1-1 du Code Pénal.
Les statistiques qui concernent spécifiquement l’article, non écrit par Animal Cross, sous lequel figuraient le nom et la commune de domiciliation de Monsieur xxx, confirment que sa visibilité est négligeable.
En effet, entre le 28 octobre 2022 (jour de sa mise en ligne) et le 31 octobre 2022 (jour où le nom de Monsieur xxx et sa commune d’hbaitation ont été supprimés), l’article n’a été vu que 50 fois, étant précisé qu’un même utilisateur (dont Monsieur xxx, l’huissier ayant réalisé le constat, les enquêteurs, etc.) a pu visionner l’article plusieurs fois :
[...]
En outre, la capture d’écran réalisée par l’huissier de justice dans le cadre du constat réalisé au soutien de la plainte déposée par Monsieur xxx montre que l’accès à l’article en question était difficile. En effet, après une une recherche spécifique sur le moteur de recherches « Google », il fallait : (i) arriver sur la page d’accueil, (ii) accepter les cookies, (iii) cliquer sur « actus dernier » et, (iv) sur la page comportant l’article en question, descendre 4 pages.
Par conséquent, l’existence d’un risque direct d’atteintes à la personne ou aux biens de Monsieur xxx ou à sa famille est, si ce n’est inexistant, à tout le moins extrêmement ténu. En tout cas aucun risque ne fait courir de danger à Monsieur xxx, sa famille ou ses biens.
2.2.2 L’élément moral de l’infraction n’est pas caractérisé
L’infraction visée à l’article 223-1-1 du Code Pénal suppose que son auteur ait agi « aux fins d’exposer » une personne ou les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens.
Il est précisé que l’auteur « ne pouvait ignorer » ce risque.
La démonstration de l’existence d’un dol spécial est donc exigée.
Comme le Gouvernement l’a observé dans le cadre de la saisine du Conseil Constitutionnel préalablement à la promulgation de la loi :
« [s]i l’infraction a été codifiée dans une partie du livre II du code pénal relative aux infractions de « risques causés à autrui », c’est, clairement, un délit intentionnel que le législateur a créé, et non une simple infraction d’imprudence, comme en témoigne l’exigence d’un dol spécial ».[2]
La doctrine a également relevé à cet égard :
« [q]uoiqu’il en soit, cet élément moral est suffisamment restrictif pour imaginer que l’infraction sera peu souvent appliquée. Il ne suffira pas de démontrer le caractère malveillant des révélations d’informations, il faudra établir positivement la volonté d’exposer la personne à un danger « direct », « que l’auteur ne pouvait ignorer » (gras ajouté, Légipresse, Dalloz 2021, p.528, A propos du nouvel article 223-1-1 du code pénal).
De même, un autre auteur précise :
« [i]l ne suffira pas d’établir que les faits ont été accomplis sciemment par quelqu’un qui voulait l’identification ou la localisation de la personne visée. Cette approche classique de l’intention est écartée ici au profit d’un dol spécial. Il faudra démontrer que les faits précédemment décrits ont été accomplis dans un but particulier qui est étranger aux faits constatés. Il faudra établir qu’à cette occasion, l’agent a cherché à atteindre un autre résultat, peu importe que ce résultat n’ait pas été obtenu. Ce qui est en cause alors, c’est le fait que la personne visée, par l’effet de son identification ou de sa localisation, s’est trouvée exposée à un risque d’homicide, de violences ou d’atteinte à ses biens » (Gazette du Palais, 16 février 2021, n°7, p.75, La création d’un risque pour la personne ou ses biens par la diffusion d’informations)
En l’espèce, en l’absence de risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens de Monsieur xxx ou des membres de sa famille (voir supra 2.2.1), il est acquis que le directeur de la publication, l’éditeur ou l’auteur des propos n’a pas agi dans le but spécifique de soumettre Monsieur xxx ou sa famille à un risque direct d’atteinte à leur personne ou à leurs biens.
Surabondamment et pour les seuls besoins de la démonstration, s’il devait être considéré que Monsieur Thomé est l’auteur des propos poursuivis, rien ne permet de considérer qu’il aurait agi dans le but d’exposer Monsieur xxx au risque précédemment évoqué.
En premier lieu, si tel avait été le cas, l’auteur aurait donné une bien plus large diffusion de l’article qu’en le cantonnant au site internet d’Animal Cross, site peu fréquenté.
Si l’intention de l’auteur avait été d’exposer Monsieur xxx ou sa famille à un risque d’atteinte à sa personne ou à ses biens, la diffusion aurait été beaucoup plus large et serait intervenue également par le biais des réseaux sociaux et de la newsletter publiée par Animal Cross, ce qui n’est pas le cas.
Le chiffre précédemment indiqué de 50 vues sur le site internet est dérisoire et démontre que l’impact des publications diffusées sur le site internet d’Animal Cross est très limité. Ainsi, si l’intention de l’auteur des propos poursuivis avait été d’exposer Monsieur xxx à un risque, son identité et le nom de sa commune d’habitation aurait été exposés plus largement.
Ces éléments auraient par exemple été publiés sur la page Facebook d’Animal Cross, qui comporte à ce jour 33.000 abonnés (ou « followers »), chiffre qui était approximativement le même au moment des faits :
[...]
Ces abonnés auraient à leur tour transmis cette information, générant une visibilité accrue. Cette dernière serait néanmoins restée peu significative tant le sujet est de faible retentissement dans l’opinion publique.
D’ailleurs, lorsque l’associaion Animal Cross fait le choix d’une diffusion sur Facebook, le nombre de vues est sans commune mesure avec celui constaté sur son site internet :
[...]
La newsletter d’Animal Cross aurait également pu être utilisée. Celle-ci est adressée chaque semaine à plus de 33.000 abonnés :
[...]
Le cantonnement de la publication des propos poursuivis sur le site internet d’Animal Cross démontre que son auteur n’avait aucunement l’intention d’exposer Monsieur xxx à un moindre risque (par ailleurs inexistant).
D’ailleurs, la doctrine précise que la notion de « fins » utilisée par l’article 223-1-1 du Code Pénal implique « une intention en soi, une volonté de résultat » (Répertoire Dalloz, Droit pénal et procédure pénale, 353).
Il convient en outre de relever que l’association Animal Cross a déjà dénoncé des vidéos de zoophiles sur sa page Facebook sans mentionner ni le nom ni montrer le visage et en ayant seulement déposé plainte, preuve qu’elle n’expose pas personnellement sur ses réseaux sociaux des zoophiles (image sur laquelle on aperçoit un chaton près des parties génitales d’un homme) :
En second lieu, aucun commentaire n’est de nature à inciter à la violence. Or, comme l’indique à juste titre la doctrine :
« [s]’il est possible, rétrospectivement, de réprouver le comportement de l’individu qui a rendu publics l’identité de ce professeur et le lieu où il exerçait alors que des faits de blasphème lui étaient reprochés, il n’en va pas de même lorsqu’une information désagréable sur autrui est simplement révélée. En effet, si elle ne s’accompagne pas d’un encouragement explicite ou implicite à porter atteinte à sa vie, à son intégrité ou à ses biens, il est difficile d’affirmer qu’elle est commise dans le but de l’exposer à un tel risque. Sauf à considérer que tout propos injurieux ou diffamatoire envers autrui est exprimé dans le but de l’exposer à un risque, en partant de l’idée que le public destinataire va réagir à ce propos, ce que son auteur ne peut prétendre avoir ignoré. Mais on présume alors ce dol spécial, ce qui paraît exagéré » (gras et soulignement ajoutés, Gazette du Palais, 16 février 2021, n°7, p.75, La création d’un risque pour la personne ou ses biens par la diffusion d’informations).
L’auteur n’a exposé aucun commentaire sur l’article publié.
Il résulte des développements qui précèdent que l’infraction prévue par l’article 223-1-1 du Code Pénal n’est manifestement pas constituée.
Pour cette raison également, le Tribunal Correctionnel de Pau renverra Monsieur Benoît Thomé des fins de la poursuite
Vu l’article 223-1-1 du Code Pénal,
Il est demandé au Tribunal Correctionnel de Pau :
- RELAXER Monsieur Benoît THOME des fins de la poursuite
Fait le 11 avril 2023
Hélène Thouy - Avocat au Barreau de Bordeaux Marie Voutsas - Avocat au Barreau de Paris